Voiture et douleur...
Quoi de plus banal que de conduire une voiture en fin de vie à la casse ?
Un jour de juillet radieux. Nous sommes à Allinges, en Haute-Savoie. Notre petite Clio blanche, cédée à notre fils aîné à la fin de ses études est en panne. Elle a trop de kilomètres et nous pensions qu'elle nous rendrait encore quelques services durant ses vieux jours. Mais ce matin de juillet, le diagnostic du garagiste est sans appel. Trop cher de la faire réparer, non pour qu'elle roule, mais pour affronter ce fameux contrôle technique de plus en plus exigeant.
L'après-midi, nous la conduisons donc à la casse la plus proche. Comme elle a encore belle allure blanche et luisante au soleil d'été. Je regarde autour de moi, elle paraît infiniment plus en forme que toutes les ruines qui l'entourent. Elle n'a rien à faire là. Le professionnel le confirme à mon mari : elle sera réparée.
Je n'ai aucun attachement pour les voitures.
D'où vient cette immense tristesse qui me tombe dessus me donnant envie de pleurer ?
Il y a un an environ notre fils qui l'utilisait a subi un autre diagnostic : il serait psychotique. J'emploie le conditionnel car là aussi j'ai du mal à accepter. Quand on parle avec lui, rien ne révèle d'anomalie. Il est brillant, passionné de géopolitique. Avec juste une véhémence dans les propos qui surprend mais une lucidité intellectuelle qui épate également. Incapable de s'intégrer à la société. Incapable de travailler, il s'enfonce dans l'isolement.
Cette petite Clio blanche échouée au milieu des vieilles voitures est le dernier lien matériel qui le relie à la vie normale, au temps où il travaillait, où il paraissait comme tout le monde.
J'attends mon mari au volant de la voiture familiale. Je le vois tourner autour encore une fois. Sans doute le même chagrin que moi, mais c'est un taiseux, il n'en dira rien.
Nous repartons en écoutant un CD de Joan Baez.
Soigner la détresse par la nostalgie.